Capital Finance 21 novembre 2022

La fonction "rh" monte en puissance dans les fonds

La fonction «RH» monte en puissance dans les fonds. Confrontés à un rapide accroissement de leurs effectifs, de nombreux fonds sollicitent des spécialistes pour structurer leurs ressources humaines et donner de la visibilité aux collaborateurs. Certains interviennent aussi dans les participations.

C’est par réseau, et presque par hasard, que Sophie Digard a pris pied chez Elaia en janvier dernier. Depuis sa création, il y a vingt ans, le fonds de Venture Capital avait parfaitement fonctionné sans « spécialiste RH ». Mais sa forte et récente ascension a fait naître un besoin. « Les collaborateurs ,passés de 10 à 40 au cours des cinq dernières années, attendaient notamment davantage de visibilité sur leur avenir au sein de la structure. Il fallait donner un tempo, guider les choses, sans pour autant alourdir les process existants », confie la responsable, ancienne DRH de McKinsey et de Coca-Cola France.

Taille critique

Si la tâche semble importante, il n’y a pas de quoi occuper un plein-temps. « Mes objectifs étaient clairs : redéfinir les grilles de compétences, mettre en place des plans d’accompagnement, clarifier les objectifs individuels, etc. En revanche, je ne suis pas chargée du recrutement, de la paie ou de l’administration du personnel », détaille Sophie Digard, qui intervient donc une journée par semaine, avec un statut d’indépendant.

Le cas est loin d’être isolé. A 22 collaborateurs, en moyenne, aujourd’hui, la taille des fonds a clairement progressé ces dernières années, conduisant un certain nombre de structures à organiser leur fonction « RH ». « Le dynamisme du secteur a entraîné la très forte croissance de certaines entités, qui ont massivement recruté. Beaucoup ont donc récemment créé une fonction en leur sein. Le seuil des 50 collaborateurs paraît souvent déclencheur», notent Sophie Capelle, DRH d’Apax Partners, et Laetitia Guetta, DRH d’Andera Partners. Toutes deux coprésident le « Club RH/formation » récemment créé au sein de France Invest afin de permettre aux spécialistes de la fonction, souvent nouveaux dans le secteur du capital-investissement, de se côtoyer et d’échanger de bonnes pratiques (voir encadré 1).

L’exemple de Laetitia Guetta est ainsi emblématique. Elle est arrivée il y a un an et demi chez Andera Partners, après un parcours en ressources humaines dans l’édition de logiciels et les services financiers. « Il y a d’abord eu une consultante externe, puis la fonction RH a été internalisée avec l’arrivée de ma collaboratrice et de moi-même, dans un premier temps à temps partiel puis à temps complet… Aujourd’hui, nous sommes une petite équipe pour accompagner la centaine de collaborateurs d’Andera », rapporte-t-elle. Même analyse pour Laurent Verlet, actuellement DRH de Vauban Infrastructure Partners, un carve-out de Mirova créé début 2020, et passé en deux ans de20 à 70 collaborateurs. Il était auparavant chargé des ressources humaines de cinq fonds de la galaxie Natixis. « Compte tenu de leurs effectifs, ces structures n’avaient pas la taille critique pour un DRH à plein temps…», admet-il.

Mais attention, ne pas avoir de fonction dédiée ne signifie pas qu’il n’y a pas de « sujets RH ». « Ils peuvent être traités par le secrétaire général, par un associé, par le responsable juridique ou le directeur financier », constate Martin Louvet, senior advisor associé chez Vauban Executive Search, un cabinet de recrutement spécialisé dans le secteur.

Pour Arkéa Capital en tout cas, c’est l’heure du basculement. La filiale du Crédit Mutuel Arkéa a récemment changé de dimension, passant de 20 à 40 collaborateurs, avec un objectif à 60 à fin2023. « Nous avons acté cet été la création en interne d’un poste RH à plein temps, pour suivre nos recrutements, mais aussi accompagner les collaborateurs dans leurs besoins RH quotidiens »,déclare Marc Brière, le président du directoire.

Conserver les talents

L’objectif premier de ces responsables : attirer et conserver les équipes. « On est sur un métier de talents à très forte valeur ajoutée, conscients de leur valeur stratégique. Dans un marché, en plus,“pénurique”…», pose d’emblée Marc Brière. « Ce sont les hommes et les femmes qui constituent le vrai capital des fonds d’investissement », rappelle Marie-Clothilde Vial, responsable RH et juridique de Siparex, qui emploie aujourd’hui près de 130 collaborateurs. Bref, une sorte de « star-system »…

En pratique, « Il n’y a pas de solution miracle, mais il faut accorder une grande attention à chaque collaborateur. Apporter un cadre, certes, mais dans lequel chacun pourra s’épanouir…», convient Sophie Digard. Le challenge est de réussir à conjuguer structuration et attention personnelle.« L’enjeu consiste à passer à l’échelle tout en gardant un œil individualisé ; à processer, sans perdre la proximité avec les managers et les collaborateurs », complètent Flavie Jean et Maria Stasse, coresponsables des ressources humaines chez Ardian, où une trentaine de spécialistes « RH » prennent soin des quelque 1.000 collaborateurs. Selon elles, « les équipes ont besoin de sens, mais aussi de perspective, de visibilité et de transparence. Il faut leur permettre de se projeter à long terme et de gérer leur carrière ».

Cela signifie poser la cartographie et la pondération des postes, mettre en place un référentiel de compétences objectif et un process clair d’évaluation. Avec, bien sûr, le corollaire indispensable de la formation. « Il faut mettre en place des formations, et les faire vivre, tant au niveau technique qu’en termes de soft skills », défend Marie-Clothilde Vial.

Chouchouter et engager

Mais dans un marché de l’emploi extrêmement tendu, il faut aussi offrir un environnement de travail « au top » à ces professionnels qui cumulent lourdes responsabilités et larges plages horaires. Les spécialistes déroulent ainsi le kit complet des avantages aujourd’hui disponibles sur le marché : télétravail, bien sûr, mais aussi sports, mobilité, congé paternité ou partenariat avec des réseaux de crèches… Les responsables d’Ardian estiment même de leur devoir « d’aider les collaborateurs à s’épanouir dans leur quotidien, en les soulageant d’une partie de leur charge mentale ».

Enfin, dans le capital-investissement comme ailleurs, les sujets du sens et de l’engagement sont désormais essentiels, en particulier pour les plus jeunes. Aux « RH » de proposer des actions en lien avec l’ESG (environnement, social et gouvernance) : accompagnement de start-up, engagements dans des associations, etc. Siparex mise par exemple sur sa Fondation. « Au-delà du métier, et de la rémunération, les juniors veulent rejoindre une entreprise qui s’implique dans la société civile »,observe Marie-Clothilde Vial. Une façon aussi de travailler sur sa « marque employeur », une vraie préoccupation pour les structures les plus importantes. « Etre plus visible et marketer notre image est essentiel pour faire grandir le vivier, attirer et retenir les talents », assurent les DRH d’Ardian, qui recrute une centaine de collaborateurs chaque année.

Support aux participations

Au-delà de la gestion des ressources humaines des fonds eux-mêmes, il y a une attente croissante de support et conseils « RH » à destination des participations. Aide aux recrutements clés, conseils, échanges de bonnes pratiques et benchmarks, les DRH des fonds sortent ainsi de leur bureau pour se rendre dans les sociétés du portefeuille : à la rencontre des dirigeants ou de leurs homologues « RH » quand il y en a.

La diversité, l’inclusion ou le handicap figurent ainsi parmi les premiers sujets traités au cours des « Ardian Circle ». Ces ateliers à destination des entreprises dans lesquelles le fonds a investi constituent un « cercle d’échanges entre pairs, conçu pour faciliter les interactions, la mise en relation et la formulation d’idées concrètes ». Concrètement, « il s’agit d’ouvrir la réflexion, d’échanger de bonnes pratiques. En tant qu’investisseurs, nous avons un devoir d’exemplarité et de partage d’expérience », soutiennent Flavie Jean et Maria Stasse. De son côté, Vauban Infrastructure sensibilise les dirigeants de ses participations « à l’approche ESG dans la gestion de leurs salariés »,avec son programme « Social Licence to Operate ».

Encore marginal aujourd’hui, avec « 5 à 10 % de l’emploi du temps » des DRH, le support aux participations pourrait bien prendre de l’importance au cours des prochaines années. « Le “capital humain” est devenu un enjeu crucial dans les entreprises, comme nous l’avons vu pendant toute la période du Covid », confirme Sophie Capelle. Les hommes constituent un élément essentiel de création de valeur au sein des participations. Et, pour le moment du moins, la place parisienne ne compte pas encore d’« operating partner » avec une casquette purement « RH ».

Reste que les spécialistes sont actuellement trop peu nombreux au regard des enjeux du secteur et ne peuvent être partout. D’autant que beaucoup doivent encore expliquer et défendre leur rôle.« Pour que les DRH nouvellement recrutés puissent être vraiment utiles, il faut que les associés acceptent de leur conférer un rôle stratégique – et non plus simplement administratif…», témoigne un professionnel. A bon entendeur…

Cécile Desjardins